L’arrivée de l’oeuvre presque entière de Paul Eluard dans le domaine public le 1er janvier 2023, a engendré un nombre important de publications et de rééditions, dont nous nous félicitons.
Les Editions Seghers ont republié tout leur fonds Eluard avec une nouvelle maquette, qui rappelle, quant au format notamment, leur célèbre collection « Poètes d’aujourd’hui », dans laquelle Paul Eluard avait été le premier poète publié. Les couvertures et leurs photos ont été changées, tous les textes des quatrièmes de couverture et des rabats réécrits avec un grand soin et les textes corrigés pour supprimer toutes les coquilles qui s’étaient accumulées au fil des années et des rééditions.
Avec ce nouveau « style Seghers » et un nouveau logo (dûs à Vahram Muratyan) sont sorties de nouvelles éditions des textes suivants :
Derniers poèmes d’amour, avec une préface de Jean-Pierre Siméon. 166 p., 14 € |
Poésie involontaire et poésie intentionnelle, avec une nouvelle préface de Nicole Boulestreau ; la mise en page d’origine a été reprise, un travail ardu qui permet de lire à nouveau le texte d’Eluard tel qu’il l’avait conçu. 86 p., 12 € |
L’Immaculée Conception, (en collaboration avec André Breton). 96 p., 13 € |
Lettres de jeunesse, édition critique de Robert D. Valette, avec une préface de Jean-Pierre Siméon. 250 p., 15 € |
Le poète et son ombre, riche en documents inédits présentés et annotés par Robert D. Valette (dans un plus grand format). 223 p., 24,50 € |
Par ailleurs, un roman : Et par le pouvoir d’un mot, de Xavier Donzelli. Il raconte l’aventure du poème « Liberté », sa transmission clandestine et son largage sur la France. Une sorte de grande épopée, à l’intérêt historique, biographique et littéraire, dont les participants sont mis en scène avec justesse. 368 p., 20 € (voir note 1 – bas de page) |
Toujours chez Seghers, mais dans l’esprit du fac-similé, réédition de :
Souvenirs de la maison des fous, dessins de Gérard Vulliamy. Format réduit par rapport à l’original. Ajout de quatre portraits inédits, d’une seconde postface de Joana Maso et de photos inédites prises à Saint-Alban. n.p., 29 € |
Liberté, j’écris ton nom, le fameux poème-objet illustré par Fernand Léger, présenté dans un joli coffret. Le papier spécialement fabriqué permet au dépliant (166 x 322 cm) de tenir debout sans aucun problème. 38 € |
Les autres éditeurs
Aux Editions Gallimard, à l’origine le principal éditeur de Paul Eluard, aucune nouvelle parution depuis 2019, année de grand cru qui vit l’édition de la Correspondance d’André Breton et de Paul Eluard (1919-1938), présentée par Etienne-Alain Hubert. Un travail remarquable, érudit et passionnant. 458 p. Coll. blanche. 32 € |
Rappelons chez Hazan, en 2018, le beau coffret – blanc comme il se doit – Pour la paix, Eluard Picasso, qui comprend un choix de textes d’Eluard et un choix de dessins de Picasso, accompagnés d’un excellent texte de Michel Murat. 220 p. + fascicule de 20 p. de Michel Murat, 29,95 € le coffret. |
À la RMN en 2019, un fac-similé de Facile (photographies de Man Ray) accompagné d’un livret rédigé par Nicole Boulestreau. Elle explique la genèse du livre, le scandale à sa sortie en 1935, le génie du typographe Guy Lévis-Mano. 39 € |
Édité par le Musée Picasso de Barcelone en 2019, le catalogue de l’exposition Pablo Picasso, Paul Eluard : une amitié sublime. Sous la direction d’Emmanuel Guigon et Malén Gual. 232 p. En français, espagnol et catalan. 39 € |
Deux belles anthologies parues récemment :
Chez Le Temps des Cerises une anthologie en deux volumes (vers et prose) d’Olivier Barbarant et Victor Laby : La mémoire des nuits, 1 et 2. Chaque volume 146 p., 20 € (voir note 2 – bas de page) |
Nicole Boulestreau rend compte de cette double anthologie dans la lettre n°1 qui est adressée aux membres de la Société des Amis de Paul Eluard.
Chez l’Harmattan, une autre anthologie, de Jérémie Pinguet, Marjolaine Leroux et Christine Vulliard : Dit de la force de la poésie, 100 poèmes de Paul Eluard, 196 p., 18 €. (voir note 3 – bas de page) |
Il faut enfin citer un livre remarquable dont le sujet n’est pas Eluard, mais qui parle d’Eluard : Poulenc, The Life in the Songs, de Graham Johnson, paru en 2020 chez Liveright Publishing Corp. 554 p. |
Notes de bas de page
(1) “Et par le pouvoir d’un mot” , de Xavier Donzelli (Seghers, 368 p., 20 €)
Commenté brièvement ici par Nicole Boulestreau et plus longuement dans la “Lettre” n° 1.
C’est sous la forme d’un roman que l’historien Xavier Donzelli a choisi de raconter l’histoire réelle de la diffusion du poème « Liberté ». Fruit d’une immense documentation, son livre témoigne du double souci qui fut le sien : en regard de la légende, faire place à la vérité historique, non d’un point de vue abstrait, mais en redonnant vie et en rendant hommage aux auteurs, éditeurs, imprimeurs, traducteurs, libraires qui, armés de leur foi de Résistants, se sont jetés dans l’action clandestine au cœur de l’occupation allemande, de la répression – voire l’extermination – nazies.
Les différents fils narratifs conduisent les lecteurs à croiser et recroiser les pistes où le message secret passe de main en main. Le récit se ramifie à travers l’Europe, entre ciel, mer et terre, entre villes occupées et villes libres, Paris, Alger ou Londres, Lisbonne, Lyon, Clermont-Ferrand , et se clôt rue de la Chapelle à Paris en septembre 1944 dans l’effervescence des festivités de la Libération.
Des extraits de différents poèmes d’Eluard et des versets de « Liberté » sont intégrés au cœur du texte, comme des relances, de sourds appels, l’inspiration d’une liberté vivante et féconde. Comme si les héros, Paul Eluard et Nusch, Max-Pol Fouchet, Cicero Dias, Louis Parrot, Raymond Aron, les aviateurs du Wellington, Noël Arnaud, Roland Penrose, Lee Miller, recevaient du poème lui-même leur force d’agir.
(2) La mémoire des nuits 1. Anthologie poétique commenté par Nicole Boulestreau
Dans leur préface les deux auteurs de l’anthologie s’étonnent eux-mêmes de leur geste : « C’est un geste étrange, écrivent-ils, que celui d’oser proposer une sélection parmi les livres nombreux d’un poète aussi accompli qu’Eluard. » Car ce faisant on « démembre les livres, » on les « écartèle, » on leur « fait violence ».
« Mais il est permis de penser poursuivent-ils que l’anthologie relève de l’art du bouquet ». L’image d’une fleur arrachée à son champ d’origine mais réimplantée dans une page vivante semble venir à point pour effacer celle d’un corps supplicié. Néanmoins les deux auteurs, appartenant comme ils le précisent à deux générations successives, ne cessent de rappeler dans leur préface que la primauté accordée à leur subjectivité et la différence de leurs mémoires poétiques, ont suscité entre eux des débats passionnés. Les principes de leur choix et de leur méthode sont aussi inhabituels. Il s’agit de faire une anthologie de textes moins connus ou méconnus. Car une grande partie de l’œuvre traversant les genres et les époques dominée par les « hymnes amoureux et poèmes engagés. » dissimule en fait une autre image, celle d’un poète plus divers et plus complexe « qui dit sa part de ténèbres ». Le bouquet de l’anthologie a gardé ses ronces et ses épines, et le sentier de l’œuvre se fraie dans les éboulis d’un demi siècle de guerres. L’ombre enveloppante est celle de l’histoire, mais aussi celle du corps fatigué ou meurtri par la mort de l’autre, celle de l’esprit affaibli, celle des forces aveugles.
Cependant le beau recueil intitulé « La mémoire des nuits » offre aux lecteurs, même anciens, comme une nouvelle terre vierge, la légère surprise d’un espace où, comme les yeux de Nusch, les poèmes apparaissent « comme une lampe en plein jour ». La recette des auteurs ? on en revient sans doute à leur subjectivité pleinement assumée, grâce à laquelle chaque poème est un foyer d’émotions qui voisine avec les autres sans perdre de son intensité. Chaque poème est en même temps un pas qui mène peu à peu, grâce à la lumière de l’amour, au « Château des pauvres ».
(3) Dit de la force de la poésie commenté par Nicole Boulestreau
Dit de la force de la poésie
100 poèmes de Paul Eluard
Choix et présentation de Marjolaine Leroux, Jérémie Pinguet, et Christine Vuillard
Cette anthologie a été conçue par trois normaliens et professeurs passionnés, férus de poésie et désireux de donner à lire à tout lecteur « les différentes facettes de la poésie d’Eluard ». Une importante introduction jointe à un tableau chronologique met bien en lumière les objectifs de pratiques artistiques neuves comme ceux des différents engagements du poète au cours de quarante années particulièrement troublées. Le titre a été choisi en l’honneur du poème qui leur est à tous trois si cher « Dit de la force de l’amour ». Il veut précisément dire la foi profonde qu’ils ont en la poésie et en sa vigueur.
La devise des signataires : LES POEMES NOUS PARLENT, IL SUFFIT DE LES ECOUTER a inspiré leur mise en page. Les poèmes y sont en effet présentés par leur titre, mais l’indication de leur date et de leur recueil d’origine n’est donnée qu’en fin de texte. Un solide encadrement historique et bibliographique permet alors au lecteur de retrouver le contexte de l’œuvre.
L’originalité de cette anthologie tient à cela. A chaque page nouvelle, une parole est donnée à entendre, ou un chant qui est adressé à l’autre. Pour ce, un soin particulier a été apporté pour reproduire le texte et la mise en page des éditions originales. Et ces traces sensibles renforcent l’émotion de la lecture des poèmes d’Eluard.