Lycée Montaigne

Poésie et résistance

« La poésie d’Eluard aide à vivre »

Le lundi 15 décembre 2014, la Société des amis de Paul Eluard se réunit au lycée Montaigne pour fêter le 70ème anniversaire du recueil de poèmes Au Rendez-vous allemand.

L’année 2014, on le sait tous, est une année de commémorations.

On célèbre les cent ans de la Première Guerre mondiale, les soixante-dix ans de la Seconde. Mais peu de gens ont eu la chance d’assister à cet anniversaire-là : les soixante-dix ans du recueil de poèmes de Paul Eluard publié clandestinement, Au Rendez-vous allemand.

C’est un lundi après-midi que la petite fille d’Eluard, Claire Sarti organise une conférence en l’honneur du poète surréaliste. Un premier rassemblement de la Société des amis d’Eluard qui a, sans aucun doute, marqué les esprits, tantôt par l’émouvante vérité qui se dégageait des paroles des différents intervenants, tantôt par l’humour ou encore la profonde affection qu’ils portaient tous à ce personnage emblématique. Qui aurait aussi bien pu parler de la poésie éluardienne, qu’une amie, un poète, un universitaire, un spécialiste… ? Ils étaient tous là, de la passion dans le regard autant que dans les mots, pour faire revivre un des plus grands poètes Résistants de la littérature française. Qui aurait pu croire qu’une conférence de trois heures passionne autant des lycéens ? Et ils n’étaient pas les seuls, journalistes, professeurs et autres invités ont écouté, captivés, ces récits élogieux. La justesse et la sensibilité particulière des différents discours y étaient sans doute pour beaucoup. Outre le jargon universitaire final qui, sans doute, à cause de l’heure avancée, faisait que certains d’entre eux ont abandonné, cette conférence restera gravée dans les mémoires. Comment peut-on rester insensible à la lecture de poèmes entre deux interventions, cette si grande émotion qui submerge la salle lorsque qu’un ou une lycéenne nous regarde droit dans les yeux et nous dit : « Donne leur la liberté / Mais garde-nous notre honte / D’avoir pu croire à la honte / Même pour l’anéantir ? » Il faut attendre une seconde publication en 1945 avant que le recueil Poésie et Vérité, où figure le poème « Liberté », soit officiellement ajouté Au Rendez-vous allemand. Ce recueil est un hymne à la vie, une forme de vengeance pacifiste. Selon Michel Murat, universitaire à la Sorbonne, le titre du recueil indique une direction vers laquelle se tourner : « la poésie mène toujours quelque part. » Ce recueil ne contient pas de poèmes guerriers proclamant la vengeance par la force mais au contraire une vengeance par l’amour et la vie. En effet, le poète Jean-Pierre Siméon le souligne à merveille : « Eluard porte l’amour à incandescence ». Ayant grandi avec Eluard quand ses copains jouaient avec les Beatles, sa poésie est pour lui un « antidote unique » car sans amour, il n’y a pas de vie. Quant au professeur Etienne-Alain Hubert et l’actuelle directrice des Editions de Minuit, Irène Lindon, ils expliquent dans un même souffle le contexte de publication du recueil. Au Rendez-vous allemand est le premier livre paru aux Editions de Minuit dans une France encore occupée par les Allemands. En 1944, si la poésie éluardienne voulait voir le jour, utiliser des pseudonymes était essentiel. Devoir se cacher, lire sous le manteau, était le quotidien des amoureux d’Eluard. « La poésie était la continuation de la Résistance » et diffuser Eluard, c’était résister.

« J’ai peur d’oublier. » Pourtant, à quatre-vingt dix ans, Madeleine Riffaud, figure historique de la Résistance, raconte dans les moindres détails sa vie avec le poète. Rien n’est laissé de côté, elle se souvient de sa rencontre avec Eluard à l’âge de seize ans, leur entrée dans la Résistance ou encore cette fois, où ensemble, ils ont distribué des poèmes « anti-allemands » dans les boites aux lettres parisiennes. « Les poèmes d’Eluard sont des armes » dit-elle. En prison, elle se les récitait pour tenir et cela a marché. Des décennies après, elle préfère esquiver certaines questions de Michel Murat pour les réciter presque mot à mot. Son récit est d’une telle sincérité que toute la salle est suspendue à ses lèvres, son passé redevient présent et pour elle comme pour nous, 1944 est hier. Tous écoutent avec admiration son incroyable aventure, tels des enfants à qui on raconte des histoires le soir. Son humour ravageur se mêle parfois à l’émotion de son discours, on passe alors du rire aux larmes en écoutant cette « jeune » femme relater son histoire d’amour avec un poète et sa poésie. Alors non, Madeleine, rassurez-vous, vous n’avez rien oublié.

Désormais inscrit sur les murs de l’Histoire, ce recueil est le reflet d’un passé douloureux où la haine et le remords se combattent. Ainsi, la Société des amis de Paul Eluard signe, avec cette conférence, le premier chapitre d’une aventure qui, espérons-le, durera le plus longtemps possible.

Laura–Line FADY, élève de première littéraire au lycée Montaigne.